La Sainte Boue

Cahiers Claude Simon n°13, 2018

« L’enchaînement est presque toujours identique : l’empreinte du plaisir à lire Claude Simon s’est insinuée dans le fil des jours, je prends un de ses romans dans la bibliothèque, lis quelques lignes, le repose non loin de moi sur le bureau ou la table de chevet. Je me réjouis de le relire bientôt, mais d’autres livres s’interposent, deux ou trois que je dois avoir terminés pour mériter le plaisir qui attend. Et puis d’autres encore ont déjà poussé sur la pile, le nom de Claude Simon n’est pas recouvert ou s’il l’est je le déterre, je guette le moment où rien ne s’imposera, aucune autre envie ; alors, plein d’un désir pur, je plongerai.

Convoiter le trésor d’un livre, avoir la certitude qu’il existe bien et que ce n’est pas un mirage ou un ouï-dire. Avoir déjà fait l’expérience d’une écriture et savoir qu’on ne peut être déçu. Savoir et désirer mais retarder sans cesse. Jouer avec ce retard, et avec le livre comme avec un fruit qu’on hume mais qu’on ne mange pas. Jouer jusqu’au moment où on le mord. Lire dix, trente, soixante pages. Et dès les premières lignes et pages tout retrouver, les mêmes avidité, fascination, contentement qui mènent presque à l’écœurement. On avait fait grandir sa faim et on est rassasié. On ferme le livre, on le repose sur la pile, il y restera encore longtemps jusqu’à ce que le désir se soit estompé. On pourra le reprendre, se renfoncer dans sa matière. Et puis ce sera fini, pour quelque temps du moins, le livre rejoindra le trou dans les rayonnages.

Peu d’auteurs donnent cette sensation… »

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