Le Divan de Thérèse

Revue Décapage, 2023

in Décapage, printemps-été 2023, n°67 (sur le thème de : Le livre que vous ne pensiez pas écrire)

 

Parce que je devais réagir à une canonique crise de foi littéraire, parce que j’avais été vidé par l’écriture d’un livre de sexe, je me suis dit : Eh bien, après le cul, Dieu ou la mort. Logique. C’est pareil, autrement.

Comme Dieu n’est pas à portée de main, j’ai repensé à un de mes textes inachevés, sur Thérèse de Lisieux : Et si j’y revenais ? Il avait été conçu dans des circonstances un peu particulières, puisque j’étais au chevet de mon grand-père agonisant. Écrire aux heures perdues sur cette autre mourante avait été ma seule distraction en regardant s’éteindre l’homme qui m’avait élevé. Ce récit décrivait une Thérèse du dedans que les spécialistes auraient peut-être considérée comme trop subjective. Mais j’avais adoré porter ces habits de carmélite, rêver de sainteté et dialoguer avec son grand silencieux aux yeux clos. La tragédie de cette jeune femme à la fin de sa vie, quand elle perd la foi, me bouleversait. Je n’étais pas croyant, mais j’étais habité par une volière où vivaient toutes sortes d’oiseaux irréels, et j’avais moi aussi connu de profondes désillusions.

Reprendre ce manuscrit avait été vite impossible – parce que réécrire c’est finalement écrire autre chose. Et puis, une image m’avait dérouté. En le relisant, j’avais entrevu le visage de mon grand-père, non celui de l’agonisant qui me donnait encore des cauchemars, mais celui d’autrefois, une de ces rares fois où nous étions allés à l’église, lorsqu’il tentait de retenir un fou-rire pendant la messe. Sa malice et son côté canaille, si rarement explicite devant moi, m’avaient ramené à mon enfance et à cette religion des petites gens, qui m’avait très discrètement entouré. Pas à des croyances, pas à une tradition et encore moins à un attachement identitaire, mais à quelques rites liés à ma grand-mère morte. C’est ainsi que, de fragments en fragments, je fus remis face à ce que je croyais avoir déjà trop écrit, ma famille endeuillée, et face à cette sainte dont j’avais un peu oublié l’influence sur moi. Moins celle des théologiens et des psychanalystes, que la thaumaturge populaire. Elle avait ainsi, assez ironiquement, joué le rôle de la docteure qu’elle avait été déclarée par l’Église. Docteure en effet et, pour moi, bien analogue à une analyste : depuis longtemps, j’étais allongé sur le divan de Thérèse de Lisieux.

Très vite, je me rendis compte aussi que ce livre inattendu qui s’esquissait m’engageait vers une reprise de mon travail antérieur. Comme la mystique, l’écriture donne une impossible place. Or ce livre ouvrait un plus vaste projet où j’allais ré-interroger un parcours social, ses obstacles et ses détours, ses déceptions. Une sorte de Constat (titre de cette somme à venir) qui explorerait des pistes narratives, négligées dans mes autres textes.

Et voilà comment je me lançai dans un nouveau cycle autobiographique. J’avais espéré depuis longtemps qu’une forme ouverte et unifiée se déploierait un jour, qui me permettrait de réécrire autrement ce que j’avais dessiné jusqu’alors. C’est une sainte nitouche, comme Thérèse se désignait elle-même, qui m’avait guidé vers cela, contre toute attente. Et moi qui avais craint d’être en train de tarir, je jubilais d’avoir encore devant moi quelques années de travail.