Les saintes huiles de Jean Genet

La Nouvelle Revue Française, 2018, n°633

de lait de sperme et de fumée

Ramené par le hasard d’une bibliothèque amie à l’engouement qu’avait provoqué ma découverte de ces tumulus broussailleux que sont Notre-Dame-des-Fleurs et Miracle de la rose, errant de nouveau dans le labyrinthe des échappées de Jean Genet, laissant divaguer mes propres rêveries dans l’enclos limité par les hauts murs de cette langue trouée de meurtrières, cheminant au gré des images levées par le buissonnement de ces récits, je me suis soudain convaincu de la convergence, dont je me fais ici le vase collecteur, entre les voix de deux personnages qui m’ont un temps possédé, celle d’une carmélite normande et celle du saint comédien martyr.

Faisons ici cette hypothèse qui n’a rien de loufoque que Jean Genet ait tété la prose fleurie de Thérèse de l’Enfant-Jésus, une des vierges amoureuses les plus célébrées au temps de son enfance, et notamment les morceaux choisis de ce best-seller qu’est la fameuse autobiographie, Histoire d’une âme. Et pour ne pas ricaner trop vite, souvenons-nous que la jeune moniale s’était entichée adolescente d’un assassin, qui avait défrayé la chronique, au point de vouloir le sauver sinon de l’échafaud du moins de l’enfer. Le tueur était ainsi devenu la première âme qu’elle avait attrapée – son premier enfant, écrit-elle. Henri Pranzini, c’était le nom du monstre, et Maurice Pilorge, celui de l’imaginaire amoureux genétien. Deux faits divers dans un journal. Deux voleurs-tueurs de leur maîtresse ou amant. La guillotine comme porte du ciel. Autant d’ingrédients qui réveillent la passion du salut – celle d’écrire.

En tout cas, pour ma part, je me mis à reconnaître en ces deux enfants le mouvement qui anime ceux qui veulent sauver les âmes « sur le point de mourir », vœu de mort et de salut trouvant une poupée idéale en un bientôt guillotiné, et qui, s’ils le peuvent, en feront proliférer les reliques – ici des légendes avec témoins, des écrits. Entre les mystiques, les amateurs de morts en sursis et les écrivains, il y a bien un rendez-vous pour ceux qui subliment et minent en même temps un ordre établi, en s’invaginant en lui plutôt qu’en l’explosant, par l’échappement donc que leur promet la commune fascination pour l’inéluctable : cette seconde naissance de la transgression, que certains nomment le salut…